En 1988, Andrew Ehrenberg publie dans Repeat Buying le résultat de ses travaux, fondateurs dans la modélisation en marketing. Avec cette méthode, Ehrenberg va à l’encontre de la doctrine scientifique classique qui consiste à valider ou à réfuter des hypothèses. Pour Ehrenberg, cette doctrine classique “torture les données pour coller à l’hypothèse, et créer une théorie”. Selon lui, aucune théorie ne peut émerger si un même résultat ne s’observe pas plusieurs fois.
Par exemple, l’inventeur de la loi des doubles gains (le fameux “double jeopardy”) observe une corrélation étonnante et contre intuitive : plus le nombre d’individus qui vont au cinéma et qui connaissent un acteur est élevé, plus la proportion de ceux qui l’apprécient parmi ceux qui le connaissent est importante ! La fréquence des sorties au cinéma semblent donc affecter la préférence des individus pour les acteurs : un cinéphile qui fréquente régulièrement une salle de cinéma connaît plus d’acteurs, mais apprécie moins les acteurs peu connus. Ainsi, les acteurs les moins connus le sont moins simplement parce qu’ils sont confrontés à une plus grande concurrence.
En passant du cinéma au marketing, Ehrenberg en arrive à la conclusion suivante : les marques à fortes parts de marché ont plus d’acheteurs mais aussi des fréquences d’achat moyennes par acheteur plus élevées que les autres ; de même que l’acteur populaire est connu par plus de spectateurs, et qu’à mesure qu’il est plus connu, il devient davantage populaire. D’où cette idée de double gain issu de l’interférence de la part de marché sur la fréquence d’achat d’un produit, ce qu’on appelle la pénétration, et la fréquence d’achat. Mais Ehrenberg n’en reste pas là. Pour isoler l’effet de la part de marché sur la pénétration et la fréquence d’achat, le chercheur élabore un modèle permettant de prévoir la proportion de réacheteurs en fonction de la pénétration et de la fréquence moyenne des achats de la marque : le modèle de Dirichlet. Ainsi, Ehrenberg affirme dans Repeat Buying que parmi les 1001 variables qui expliquent les comportements d’achat, 999 ne servent à rien et les 2 dernières sont corrélées entre-elles : “Bien des aspects du comportement d’achat peuvent être prédits seulement par la pénétration et la fréquence moyenne d’achats et ces deux variables sont corrélées entre-elles.” Les travaux d’Ehrenberg constituent ainsi une invitation à ne pas négliger la notoriété et la pénétration d’une marque.
Dans les pas d’Ehrenberg, Byron Sharp dans son ouvrage “How Brands grow?” remet en cause les stratégies marketing ciblant les clients les plus rentables. D’abord, selon lui, l’idée d’un 20/80 de Pareto (20% des clients représentent 80% du revenu) est erronée. Ensuite, ces acheteurs sont plus sollicités que jamais, de nombreuses marques se disputant leur attention et leurs habitudes. Selon Sharp, le marketing de masse qui vise à accroître la notoriété et la pénétration de marque n’est pas mort ! Les marketeurs devraient ainsi s’efforcer de progresser en la matière car c’est un levier essentiel de la croissance d’une marque. En effet, même si les petits acheteurs n’achètent qu’occasionnellement, ils contribuent significativement, de par leur nombre, au volume des ventes.
Pour Sharp, la principale erreur est de considérer qu’il existe un acheteur moyen. Faire une moyenne des comportements d’achat est trompeur car l’étude des fréquences d’achat révèle des masses récurrentes de clients peu fréquents. Par exemple, le consommateur moyen de Coca-Cola en achète environ douze fois par an. Cependant, si on s’intéresse au consommateur type, on observe que ce dernier n’achète du Coca-Cola qu’une ou deux fois par an. Ainsi, la majorité des consommateurs de Coca-Cola n’en achètent qu’en petite quantité et peu régulièrement.
Cette asymétrie de la distribution des fréquences d’achat impose donc à la marque de prendre en compte ces masses d’acheteurs afin d’augmenter la présence à l’esprit de la marque et, ainsi, sa pénétration car cela a un effet positif sur la fréquence d’achat des consommateurs grâce au principe du double gain.