Marketing Reboot #3 : La valeur client : modèles, lifetime value et incrémentalité

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Notre webinar du 27 mai 2020 est disponible en replay.

Un format court de 30 minutes :

  • 20 minutes de conférence
  • 10 minutes de questions/réponses avec nos experts sur le live chat.

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En 1993, Don Peppers et Martha Rogers publient un ouvrage qui marqua profondément le marketing relationnel : The One to One Future. L’idée semble aujourd’hui largement partagée : comme les consommateurs ne sont pas égaux, il est nécessaire de différencier le traitement qu’on leur accorde. Les travaux de Peppers et Rogers s’inscrivent ainsi dans la continuité des travaux sur le Marketing Direct (Pierre Desmet) avec un héritage très clair de l’univers de la vente par correspondance en marketing : tous ont eu des impacts majeurs sur le concept de valeur client.

Même si ce concept de valeur client est plutôt ancien, l’idée qu’il puisse constituer un avantage compétitif est plutôt récente. Longtemps, l’avantage compétitif s’est cantonné aux dimensions internes telles que les produits, la qualité ou l’innovation.
C’est en 1997 que Woodruff publie son article “Customer Value: The Next Source for Competitive Advantage” et suggère qu’il s’agit d’un avantage compétitif. La valeur est à la fois perçue par le client et apportée financièrement à l’entreprise par ce même client qui génère un flux de revenus sur le long terme : la valeur est ainsi partagée !

Cette notion est donc devenue une préoccupation importante pour les chercheurs en marketing et fera rapidement l’objet de plusieurs publications fondatrices exploitant les modélisations statistiques. Trois écoles complémentaires de modélisateurs se sont rapidement constituées : la première, avec Peter Fader et Bruce Hardie, s’intéresse à la mesure de la valeur au niveau individuel et donc à l’identification des variables qui influencent la valeur client. La seconde, représentée par Andrew Ehrenberg et Byron Sharp, adopte une focale plus grande et s’intéresse principalement à la mesure de la valeur au niveau de la marque, c’est-à-dire aux profils de clients qui génèrent la croissance d’une marque. Enfin, la troisième école, où on retrouve par exemple Radcliff et Naïr, s’intéresse principalement aux moyens permettant d’augmenter la valeur client, c’est-à-dire aux liens de cause à effet entre un traitement marketing et son impact sur le développement de la valeur client.

Modéliser la valeur client

Pour la première école, la valeur client est profondément liée au concept de customer centricity. Pour Peter Fader, tous les clients ne se valent pas (customers are not created equal) car ils ne sont pas tous rentables pour l’entreprise. Par conséquent, les adeptes de la première école cherchent à mesurer l’hétérogénéité des clients pour mieux identifier leur rentabilité à long terme pour une entreprise, quitte parfois à abandonner des clients qui ne sont pas rentables : le coût de la relation serait plus élevé que le revenu généré par ces clients.

Il existe deux méthodes principales qui permettent d’identifier les clients considérés comme rentables. La première est une méthode rétrospective qui consiste à observer l’historique d’achat pour segmenter les clients sur la base de leur contribution au chiffre d’affaires : 10% des clients peuvent représenter 30% du chiffres d’affaires. Les segmentations PMG (Petits, Moyens et Gros clients) permettent ce type de mesure. Il est également possible de construire une approche RFM (Récence, Fréquence et Montant des achats) pour établir un scoring client. La seconde méthode, appelée Customer Lifetime Value, est quant à elle prédictive car elle permet de projeter une série de flux de revenus futurs générés par le client. La CLV permet donc d’établir la valeur actuelle qui est attendue du flux de revenus nets d’un client. Pour Fader, c’est l’unité de mesure exacte du marketing relationnel et elle permet de distinguer les meilleurs clients des clients-non rentables et de définir l’allocation des ressources de manière fiable en ciblant les actions marketing sur les clients à fortes CLV pour maximiser l’efficacité des investissements.

La valeur prédictive de la CLV ne cesse d’augmenter à mesure que la recherche se dote de nouvelles méthodes statistiques inspirées des Data Sciences. Cette situation pousse certains chercheurs à alerter sur les possibles effets pervers de cette évolution de la valeur client, comme une possible différenciation extrapolée des traitements par valeur client avec, à la clé, un marketing à deux vitesses où beaucoup d’acteurs se concentrent sur une infime partie des consommateurs, les plus aisés, et désinvestissent dans l’accompagnement des moins aisés. La valeur client a donc une influence considérable sur les pratiques marketing, ce qui invite à considérer cette notion d’un point de vue général et non du point de vue de la rentabilité.

En effet, un client apporte bien plus qu’une série de transactions. C’est une multitude de comportements générateurs de valeur que décrit Kumar dans Profitable Customer Engagement, où il propose d’étendre la notion de CLV (à laquelle il a pourtant beaucoup contribué) grâce à la Customer Engagement Value. La valeur de l’engagement client représente la valeur totale apportée par le client en prenant en compte non seulement la valeur des transactions (la contribution financière directe) mais aussi celle des parrainages, de l’influence du client sur les réseaux sociaux ou de la valeur des retours clients (les contributions financières indirectes).

Utiliser la valeur client comme moteur de croissance

En 1988, Andrew Ehrenberg publie dans Repeat Buying le résultat de ses travaux, fondateurs dans la modélisation en marketing. Avec cette méthode, Ehrenberg va à l’encontre de la doctrine scientifique classique qui consiste à valider ou à réfuter des hypothèses. Pour Ehrenberg, cette doctrine classique “torture les données pour coller à l’hypothèse, et créer une théorie”. Selon lui, aucune théorie ne peut émerger si un même résultat ne s’observe pas plusieurs fois.
Par exemple, l’inventeur de la loi des doubles gains (le fameux “double jeopardy”) observe une corrélation étonnante et contre intuitive : plus le nombre d’individus qui vont au cinéma et qui connaissent un acteur est élevé, plus la proportion de ceux qui l’apprécient parmi ceux qui le connaissent est importante ! La fréquence des sorties au cinéma semblent donc affecter la préférence des individus pour les acteurs : un cinéphile qui fréquente régulièrement une salle de cinéma connaît plus d’acteurs, mais apprécie moins les acteurs peu connus. Ainsi, les acteurs les moins connus le sont moins simplement parce qu’ils sont confrontés à une plus grande concurrence.

En passant du cinéma au marketing, Ehrenberg en arrive à la conclusion suivante : les marques à fortes parts de marché ont plus d’acheteurs mais aussi des fréquences d’achat moyennes par acheteur plus élevées que les autres ; de même que l’acteur populaire est connu par plus de spectateurs, et qu’à mesure qu’il est plus connu, il devient davantage populaire. D’où cette idée de double gain issu de l’interférence de la part de marché sur la fréquence d’achat d’un produit, ce qu’on appelle la pénétration, et la fréquence d’achat. Mais Ehrenberg n’en reste pas là. Pour isoler l’effet de la part de marché sur la pénétration et la fréquence d’achat, le chercheur élabore un modèle permettant de prévoir la proportion de réacheteurs en fonction de la pénétration et de la fréquence moyenne des achats de la marque : le modèle de Dirichlet. Ainsi, Ehrenberg affirme dans Repeat Buying que parmi les 1001 variables qui expliquent les comportements d’achat, 999 ne servent à rien et les 2 dernières sont corrélées entre-elles : “Bien des aspects du comportement d’achat peuvent être prédits seulement par la pénétration et la fréquence moyenne d’achats et ces deux variables sont corrélées entre-elles.” Les travaux d’Ehrenberg constituent ainsi une invitation à ne pas négliger la notoriété et la pénétration d’une marque.

Dans les pas d’Ehrenberg, Byron Sharp dans son ouvrage “How Brands grow?” remet en cause les stratégies marketing ciblant les clients les plus rentables. D’abord, selon lui, l’idée d’un 20/80 de Pareto (20% des clients représentent 80% du revenu) est erronée. Ensuite, ces acheteurs sont plus sollicités que jamais, de nombreuses marques se disputant leur attention et leurs habitudes. Selon Sharp, le marketing de masse qui vise à accroître la notoriété et la pénétration de marque n’est pas mort ! Les marketeurs devraient ainsi s’efforcer de progresser en la matière car c’est un levier essentiel de la croissance d’une marque. En effet, même si les petits acheteurs n’achètent qu’occasionnellement, ils contribuent significativement, de par leur nombre, au volume des ventes.

Pour Sharp, la principale erreur est de considérer qu’il existe un acheteur moyen. Faire une moyenne des comportements d’achat est trompeur car l’étude des fréquences d’achat révèle des masses récurrentes de clients peu fréquents. Par exemple, le consommateur moyen de Coca-Cola en achète environ douze fois par an. Cependant, si on s’intéresse au consommateur type, on observe que ce dernier n’achète du Coca-Cola qu’une ou deux fois par an. Ainsi, la majorité des consommateurs de Coca-Cola n’en achètent qu’en petite quantité et peu régulièrement.

Cette asymétrie de la distribution des fréquences d’achat impose donc à la marque de prendre en compte ces masses d’acheteurs afin d’augmenter la présence à l’esprit de la marque et, ainsi, sa pénétration car cela a un effet positif sur la fréquence d’achat des consommateurs grâce au principe du double gain.

Lier la valeur client aux investissement marketing

Si la mesure de la valeur client et la compréhension des leviers de croissance pour une marque ont été largement étudiées, la capacité à développer cette valeur client pose encore de nombreuses questions aux praticiens. C’est pourtant un champ de recherche actif, souvent sous-exploré par les marketeurs. Pour retrouver la causalité entre un traitement marketing et son impact sur la valeur client, les chercheurs proposent des modèles puissants qui visent à comparer un comportements d’achat “provoqué” avec un comportement d’achat “naturel”. Nous voilà dans le champ de l’expérimentation (A/B testing) propulsé sur le devant de la scène par la prix Nobel Esther Duflo, mais appliqué au marketing ! Il s’agit de comparer les comportements de clients exposés à un “traitement” marketing avec ceux de clients non “traités”, c’est le principe d’incrémentalité également qualifié de modélisation Uplift (Radcliff ou Naïr).

L’incrémentalité permet d’identifier des clients stratégiques pour l’entreprise : ceux qui réagissent positivement à un traitement marketing si et seulement s’ils sont ciblés. Autrement dit, cette méthode donne des clés aux marques, leur permettant de réaffecter les investissements d’une manière optimale grâce à la prise en compte des différences de réaction face au traitement marketing. En bref, contrairement aux deux premières approches, il ne s’agit plus de prendre en compte des indicateurs de récence, de fréquence et de montant dépensé, mais bien un différentiel de réactivité entre “traités” et “témoins”. Il s’agit alors de se concentrer sur les clients qui développent leur valeur, qu’ils soient petits ou gros clients, acheteurs fréquents ou non. Cette dimension particulière de l’Uplift dépasse l’opposition long terme/court terme et permet de travailler une multitude de variables mesurables comme la notoriété, la fréquence d’achat, la satisfaction ou la rétention.

 

L’impact incrémental

Conclusion

Essayer d’attribuer une valeur à un client a donc une place centrale aussi bien dans la recherche que dans la pratique du marketing. La valeur client est une valeur d’échange, à la fois perçue et apportée par les clients. C’est un flux estimé de revenus nets individuels qui doit permettre de valoriser l’engagement client de manière directe, grâce à la CLV, et indirecte, grâce à la CEV. La valeur client se mesure avec des segments de valeur de contribution au chiffre d’affaires, en utilisant la méthode PMG, mais aussi avec le développement de scores, comme le RFM, ou de prédictions de cash flows futurs permis par la CLV. La valeur client est essentielle puisqu’elle permet d’identifier la rentabilité des clients et de différencier l’allocation de ressources marketing en ciblant plus efficacement et en combinant des logiques relationnelles à des logiques de présence à l’esprit permettant de bénéficier du principe du double gain. Finalement, les logiques d’incrémentalité constituent des outils puissants pour réconcilier investissements marketing et développement de la valeur client, à court terme comme à long terme.